John A. Hall, lauréate

Biographie

Lorsque la Grande-Bretagne a choisi de quitter l’Union européenne, le 23 juin 2016, John Hall était à Londres, au plus près de l’action. « Je ne pensais pas que le choix du Brexit l’emporterait, mais finalement, il a obtenu 52 % des votes. Comme quoi bien des mouvements sociaux échappent au jeu des prédictions », dit ce maître de la sociologie.

L’approche interdisciplinaire de John Hall, à la croisée de la sociologie, de l’histoire et de la politique, en fait l’un des plus fins observateurs de la réalité contemporaine. Ce professeur en sociologie de l’Université McGill a publié plus d’une trentaine de livres et est auteur ou coauteur d’une soixantaine de chapitres de livres et d’autant d’articles. Il a été professeur invité à l’Université Queen’s de Belfast, à la London School of Economics de Cambridge, à la Copenhagen Business School de l’Université de Copenhague et à l’Université centrale européenne de Prague. Il a reçu le prix Marcel-Vincent de l’Association francophone pour le savoir et a été nommé membre de la Société royale du Canada. Bref, il était taillé sur mesure pour obtenir le prix Léon-Gérin, qui représente la plus haute distinction accordée à une chercheuse ou à un chercheur pour l’ensemble de sa carrière dans l’une des disciplines des sciences humaines et sociales.

« Très peu de penseurs contemporains peuvent se targuer d’avoir apporté une contribution aussi remarquable à des débats cruciaux en sciences sociales », estime son homologue Grzegorz Ekiert, directeur du Centre d’études européennes Minda de Gunzburg, à Harvard.

À Manchester, à la fin des années 1960, le jeune Anglais remporte une bourse pour étudier l’histoire moderne à Oxford. Les bouleversements phénoménaux qui secouent cette époque l’incitent toutefois à passer aux sciences sociales après son baccalauréat. « Je voulais comprendre où allait le monde et quelles étaient les forces en jeu », résume John Hall de sa voix feutrée. Après un stage aux États-Unis, l’étudiant obtient un doctorat combinant sociologie et histoire à la London School of Economics. Recruté comme professeur, il crée avec deux collègues le séminaire Patterns of History, qu’on pourrait traduire par « Les schémas de l’histoire ». Ce cours contribue à faire connaître une discipline novatrice, la sociologie historique comparative, qui consiste à examiner le passé pour analyser le présent. « On ne peut pas comprendre le monde en étudiant les sociétés depuis 1945 seulement, explique le spécialiste. Il faut développer une conscience de l’histoire. »

C’est en publiant Powers and Liberties, en 1985, que John Hall acquiert une renommée. L’ouvrage présente une analyse de la montée en puissance de l’Occident, et est salué sur les campus comme dans les médias. Il lui vaut une invitation à Harvard, où il enseigne durant quatre ans avant de se joindre à l’Université McGill en 1990.

Entre-temps, le sociologue démonte les rouages de la mobilisation citoyenne. À son avis, les mouvements sociaux ne naissent pas de la société même, mais de la manière dont l’État traite ses citoyens. C’est le cas des révolutions politiques comme des courants patriotes ou des luttes de classes. Ainsi, lorsque le gouvernement de Margaret Thatcher a restreint le pouvoir local en Écosse, dans les années 1980, le sentiment nationaliste s’est exacerbé, ce qui a poussé les Écossais vers la rébellion. À l’inverse, lorsque l’Irlande du Nord a donné plus de latitude à la minorité catholique, la région s’est apaisée. « Si l’État vous permet de faire entendre votre voix, vous avez tendance à demeurer loyal; sinon, vous cherchez une porte de sortie, résume-t-il. Les citoyens exclus tendent à se radicaliser. Les États sont stables quand accordent de l’espace aux gens. »

L’intellectuel pousse plus loin sa réflexion en publiant The Importance of Being Civil, un essai portant sur le concept de société civile. Cette entité englobe-t-elle tous les groupes indépendants qui tentent d’influencer le gouvernement? Ce n’est pas le cas, selon lui. « Al-Qaïda est un groupe fort, mais il ne contribue pas à la société civile, illustre-t-il. Être civil, c’est se mettre d’accord pour être en désaccord. C’est une vision commune qui permet l’expression de différends à l’intérieur de certaines limites. » Cet idéal est plus facile à atteindre dans les pays présentant un gouvernement d’esprit libéral, une économie en croissance et un accès à la citoyenneté pour les immigrants.

Son prochain essai, à paraître bientôt, portera sur un phénomène intrigant baptisé « paradoxe de la vulnérabilité ». John Hall étudie l’étonnante compétitivité de quelques États de petite taille et de population homogène. Ces pays, qui semblent a priori mal outillés pour affronter la concurrence, parviennent à transformer leurs apparentes limites en facteurs de succès. En témoigne la prospérité de la Suisse et de la Scandinavie. « Comme ils se savent vulnérables, ils agissent plus vite pour assurer leur survie, précise le penseur. Leur taille modeste leur confère rapidité et flexibilité. » Dans les années 1930, le Danemark était terrifié par l’ascension de Hitler en Allemagne; il a modifié sa politique internationale et introduit des mesures d’aide sociale qui, plus tard, ont contribué à en faire un pays florissant. Bien sûr, la théorie comporte des exceptions, comme la Grèce, qui frôle aujourd’hui la faillite. La leçon demeure néanmoins instructive pour une nation modeste comme le Québec.

Concrètement, à quoi sert la sociologie, monsieur Hall? « À évaluer nos options, répond-il spontanément. L’homme se bute toujours à des contraintes; il ne fait pas du monde ce qu’il veut. Mais quand il saisit les limites de ses actions, il saisit aussi ce qu’il peut accomplir. Il jauge mieux son espace de manœuvre. »

Quelque quarante ans après avoir donné ses premiers cours, le professeur Hall enseigne toujours avec plaisir. Il transmet à la relève sa prédilection pour la philosophie française de tradition libérale, allant de Michel de Montaigne à Raymond Aron. S’y ajoutent les classiques de la sociologie signés par Karl Marx, Max Weber et Émile Durkheim. « Enseigner la pensée critique est ce qui me rend le plus heureux dans ma carrière, confie-t-il. J’essaie d’apprendre aux étudiants à voir le monde à travers leurs propres yeux. » L’Association des étudiants en sociologie de l’Université McGill l’a d’ailleurs nommé, en 2015, « le professeur le plus éclairant ».

Dans ses temps libres, John Hall pratique le ski et le tennis. Il saisit chaque occasion de jouer une partie d’échecs. « Et je lis une quantité ridicule de romans », confesse-t-il sans remords. Le nouvel ouvrage qu’il prépare synthétisera ses théories maîtresses sur les nations et les États.

Information complémentaire

Membres du jury :
Jean Grondin (président)
Isabelle Daunais
Richard Cloutier
Catherine Beaudry
Lucie Lamarche (Absente de la plénière)

Texte :
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