Mario Leclerc, lauréate

Biographie

Si Mario Leclerc faisait carrière en musique plutôt qu’en chimie, il serait un jazzman champion d’improvisation. Cet admirateur de Miles Davis et d’Oscar Peterson n’aime pas suivre un plan de travail rigide, car selon lui, il faut une dose de liberté pour faire naître une idée nouvelle. « La recherche, c’est vraiment de la création, expose-t-il. Comme les artistes, les chimistes créent des objets qui n’existent pas. Pour ça, il faut avoir un certain esprit expérimental. Quand on ajoute une touche d’improvisation à la science, ça donne l’innovation. »

C’est cette philosophie qui fait de Mario Leclerc un scientifique d’exception. En plus de ses 14 brevets, on lui doit plus de 260 articles, 170 conférences et 23 000 mentions dans des revues spécialisées, ce qui en fait l’un des chercheurs actifs les plus cités au Canada. En 2014, il reçoit une des bourses de recherche Killam remises aux chercheurs canadiens émérites toutes disciplines confondues, et l’Association francophone pour le savoir lui attribue le prix Urgel-Archambault pour les sciences pures et appliquées. Par ailleurs, la société d’information Thomson Reuters l’a inclus dans sa liste des savants qui ont changé le monde en 2014 et en 2015. Pas étonnant que le gouvernement du Québec lui décerne le prix Marie-Victorin, qui souligne une carrière remarquable en sciences naturelles et en génie.

Cette distinction récompense des décennies d’efforts soutenus. Entre le moment où l’on imagine un produit et celui où l’on trouve la bonne combinaison de molécules, il peut s’écouler des années. « Heureusement que je ne suis pas seul là-dedans. Une quinzaine de personnes participent aux recherches menées dans mon laboratoire », précise d’emblée le directeur de la Chaire de recherche sur les polymères photoactifs et électroactifs du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, à l’Université Laval.

Quand le jeune Mario s’initie à la chimie, à 15 ans, il est loin de penser qu’il a rencontré son destin et qu’il poursuivra ses études dans ce domaine jusqu’à obtenir un doctorat de l’Université Laval. Il fait ensuite deux stages postdoctoraux, dont un en Allemagne, au réputé Institut Max-Planck de recherche sur les polymères.

Sans trop s’en rendre compte, il tombe dans un champ d’étude d’une richesse inouïe. En langage scientifique, on parle de polymères photoactifs et électroactifs. « En mots simples, je travaille sur les plastiques, résume-t-il. Les matériaux que j’étudie ont les mêmes principes de base que vos sacs de poubelle! » Sauf que ses sujets favoris présentent deux attributs intéressants. D’abord, ils conduisent l’électricité. Ensuite, ils sont colorés; pas comme les contenants vendus dans le commerce, dont le plastique transparent est teint avec des pigments, mais de façon naturelle. « Cette classe de matériaux offre un potentiel époustouflant, raconte le chercheur. À mes débuts, je passais mon temps à me dire : tiens, ça peut faire ça aussi… »

Le professeur Leclerc installe peu à peu son laboratoire. Au tournant des années 2000, il s’attelle à une tâche incroyable, celle visant à mettre au point un matériau capable de détecter des maladies, notamment le sida. Comment cela fonctionne-t-il? Lorsqu’il est mis en contact avec du matériel génétique, ce plastique particulier peut repérer des séquences d’ADN. « Si une séquence est spécifique à une bactérie ou à un virus, alors le polymère change de couleur. Il passe du rouge au jaune. C’est un peu comme mesurer le pH d’une piscine. » Cette avancée majeure, réalisée en collaboration avec le Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, permet de diagnostiquer des maladies de façon simple et rapide. Elle a été classée parmi les dix plus grandes découvertes québécoises de 2005 par le magazine Québec Science, et est aujourd’hui exploitée par l’entreprise québécoise GenePOC.

Après cette aventure en milieu biomédical, le chercheur décide de se pencher sur les piles solaires. Un défi radicalement différent. Et pourtant, il met en jeu la même classe de plastiques. Pour fabriquer une pile solaire, il faut un matériau qui absorbe la lumière et conduise l’électricité. Les polymères photoactifs et électroactifs possèdent une structure chimique tout indiquée. « Le défi consistait à trouver le meilleur compromis entre la captation de la lumière et le transport de l’électricité. On a inventé des plastiques qui absorbent la lumière le plus largement possible, mais qui conservent une formule capable de générer des électrons. » Un nouveau groupe de polymères vient au monde. Faciles à fabriquer, ils pourraient permettre de produire des cellules photovoltaïques à bon marché. Ces polymères sont commercialisés par la jeune entreprise québécoise Brilliant Matters, fondée par deux docteurs en chimie formés dans ce laboratoire.

« Le travail du professeur Leclerc sur les piles solaires plastiques a des retombées directes sur la science comme sur la société, car ces percées technologiques permettront le développement de dispositifs qui […] produiront une énergie renouvelable à très faible coût », écrit le physicien américain Alan J. Heeger, lauréat d’un prix Nobel, qui a cosigné plusieurs articles avec le scientifique québécois.

Si Mario Leclerc voulait passer un message, ce serait celui-ci : les scientifiques travaillent fort pour être utiles à la société. « Même en recherche fondamentale, on tente d’être pertinents. Pour faire ce métier, il faut avoir l’impression que ça va donner quelque chose. Sinon, on n’arrive pas à se lever chaque matin. » L’évolution de son laboratoire reflète d’ailleurs les grands débats scientifiques des dernières années, qui concernent par exemple le décryptage du génome humain (polymère détecteur d’ADN) et les changements climatiques (piles solaires). « Il faut être attentif à ce qui se passe dans le monde, estime le fondateur du Centre québécois sur les matériaux fonctionnels, qui regroupe une soixantaine de chercheurs. Les étudiants nous aident beaucoup à cet égard. Deux ou trois jeunes se sont joints à mon équipe parce qu’ils voulaient travailler sur l’énergie solaire et contribuer ainsi à la protection de l’environnement. »

Sa plus grande fierté réside d’ailleurs dans les personnes qu’il a formées. « Je dis à mes étudiants que je veux faire d’eux de meilleurs chimistes, mais aussi de meilleurs citoyens. Quand un jeune affirme que j’ai contribué à son succès dans la vie, rien ne me touche davantage », dit ce père de deux jeunes adultes. Doué pour la vulgarisation, il a été nommé à cinq reprises « professeur étoile » par ses étudiants.

Dans ses temps libres, Mario Leclerc aime se détendre en famille et aller au cinéma. Marié à une pianiste de formation, il écoute beaucoup de musique. Sa discothèque contient-elle Hymn to Freedom, l’ode à la liberté composée par Oscar Peterson? Ça pourrait être la chanson-thème de ce scientifique à la fois créatif et rigoureux, qui a su percevoir la musique des molécules.

Information complémentaire

Membres du jury :
Christiane Girard (présidente)
Jacques Lapointe
Pédro-Péres Neto
André D. Bandrauk
Jean-Claude Kieffer

Texte :
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